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Maximaliste minimal

5 avril 2025 - 6 min

le Paris de 2025

J'y vais et j'ai (un peu) peur. Dans une semaine, je vais courir à nouveau mon premier marathon de Paris. Ce sera la troisième fois.

La première fois, je n'étais pas entrainé ou plutôt devrais-je que je ne savais pas vraiment courir.

La seconde fois, j'ai mis toutes les chances de mon côté comme je l'évoquais déjà ici. Les chances maximales.

Cette fois-ci, j'ai mis toutes les chances de mon côté. Mais elles sont cette fois-ci "minimales". Ce marathon se fera en sandales.

"Wesh, il court en tongs"

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En 2023, je cours donc la marathon avec l'objectif du cadre supérieur parisien bigorexique moyen que je suis : franchir la barrière symbolique des 3h.

Je fais "tout bien". Chaussures, semelles, plan d'entraînement (non), renforcement (non), presque "tout bien". La marathon se déroulera comme je l'avais espéré mais je me souviendrais surtout du km35.

Nous allons bientôt aborder le bois de Boulogne pour parcourir les derniers kilomètres nous séparant de l'arche salvatrice quand je rattrape un groupe tiré par un meneur d'allure. Au sein de ce groupe, je retrouve Olivier.

La première fois que je l'ai croisé - je ne sais pas s'il s'en souvient - mais c'était au départ de la Race Across France 2022, une course cycliste de 2500km à travers la France. Il me distille ses conseils en "vétéran" - dans l'utlracyclisme, au bout d'un an, on peut légitimement se considérer comme "vétéran" à partir du moment où on décide de rempiler l'année suivante.

Mais cette fois-ci, mon regard n'est pas attiré par son vélo savamment préparé mais par ses pieds. Il court en tongs. "En sandales !", me dit-il. Je suis intrigué, absorbé toujours par mon effort mais à ce moment, quelque chose "clique" dans ma tête. S'il a choisi les sandales, c'est qu'il doit y avoir une raison rationnelle.

Je me dis qu'il faudra bien que j'essaie.

Panta court

L'idée fait son chemin, après avoir amélioré ma marque sur marathon en chaussures maximalistes à Saumur l'année suivante, ma première paire "minimaliste" est commandée dans la foulée - lol - et je choisis la marque néerlandaise Panta Sandals sur les conseils d'Olivier. Je ne connais rien au minimalisme. Ça parle de "foulée naturelle" et tout un tas choses - parfois un peu ésotériques à mon goût dans ce que je lis - mais je suis avant tout curieux.

Les "Lyakios" arrivent à la maison quelques jours plus tard dans une lettre toute simple, par un week-end de printemps qui ne me laisse pas d'autre choix que de partir les tester. 10km, mon parcours préféré autour du Bois de Boulogne.

La première sensation, c'est le vent sur les pieds qui donne presque l'impression qu'on court dans le sable et devient assez vite agréable.

La seconde, c'est le bruit. On ne va se le cacher, mais les premières foulées font un bruit que l'on peut qualifier de remarquable - et remarqué - et fait prendre conscience de la violence de l'impact de ce sport surtout le corps, 180 fois par minute.

La dernière, c'est l'apparition soudaine de nouveau muscles dans les jambes. Qui dit sandales dit pas de "drop" - cette mousse de hauteur variable qui amortit les chocs et vous positionne d'une façon à protéger les muscles des mollets. Je sens doucement que les miens se raidissent mais grisé par cette sensation de vitesse - un peu - et par l'envie de tester les "limites" de l'exercice - beaucoup - je rentre à la maison avec l'équivalent de deux briques en guise de jambes.

Il faudra donc respecter une transition plus douce. Qui commencera par une semaine de repos car je ne peux plus marcher le lendemain.

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Bon pied, bon oeil

La transition reprend par quelques footings et très vite, j'essaie d'incorporer cette transition à mon jeu favori : aller au travail en courant.

Courir avec des chaussures minimaliste travaille le pied.

Courir en sandales travaille aussi l'anticipation et plus simplement où on met les pieds. Cela peut sembler idiot mais revenir à ces fondamentaux de la course à pied rend une pratique souvent perçu comme ennuyante en un jeu.

L'appréhension naturelle de se blesser à cause d'un choc ou d'un débris disparait assez vite, aussi vite que certains désagrément de la chaussure dite "maximaliste". Par exemple, le fameux maintien du pied qui rend la cheville vulnérable aux entorses retrouve une liberté de mouvement qui fait qu'elle ne se bloque mais simple accompagne les aspérités du sol.

A la place, ce sont de nouvelles douleurs qu'il faut savoir appréhender, et laisser le corps s'habituer mais finalement rien ne diffère au final de la course en baskets. La progressivité et la régularité permettent à n'importe qui d'arriver à prendre conscience des formidables capacités d'adaptation des tendons, des articulations et des muscles.

On passe tellement de temps à se poser des questions sur nos chaussures alors que ce sont bien nos pieds qui courent.

Cela demande du temps cependant. Ce temps qui nous manque cruellement quand on essaie de compenser ses séances ratées de la semaine par une sortie plus longue et plus dure le week-end.

Pourtant, le temps et la régularité font un plutôt bon job et ça tombe bien. Du temps, j'en ai. On est en mai, et il est alors décidé que le premier dossard en sandales sera pris en novembre, au semi-marathon de Boulogne.

Bruxelles, je t'aime

Les mois passant, je teste différents terrains, je continue de m'habituer et à l'entrée de l'automne, mes sandales sont mes chaussures de course par défaut. Mon dossard pour le semi-marathon de Boulogne est pris et l'objectif sera de courir un premier "sub 1h20" fin novembre. Sauf qu'un compagnon course me propose des opportunités avant. Le Paris-Versailles et le 20km de Suresnes pour commencer.

Et puis un week-end à Bruxelles deux semaines avant l'échéance de Boulogne m'offre un heureux hasard : il y a un semi-marathon. J'avais prévu d'aller courir pour visiter et cela se transformera en une chouette expérience qui me gratifiera des remarques que je prends l'habitude d'utiliser comme catalyseur mental : un mix de fascination et d'incompréhension - mais bon, peut-on en vouloir à des gens d'être étonné•es de découvrir quelqu'un courir en tongs ?

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Vient l'heure de Boulogne. Ici, le plateau est relevé, et je vais pouvoir tenter de surpasser mon record personnel en chaussures établi au même endroit l'année d'avant. La course sera parfaite, même si les remarques ici sont nettement moins agréables à entendre qu'en Belgique. Mais s'il me fallait bien une source supplémentaire de motivation, je l'ai trouvée.

"Non mais n'importe quoi !?" résume globalement la teneur de ce que j'ai entendu ce jour-là - généralement venant de la bouche de gens que je dépassais. Au final le record est battue et je lorgne déjà sur l'objectif suivant : ce sera le marathon de Paris.

Minimaliste ?

Dans une semaine, je vais donc y aller. Avec un peu d'appréhension, car cette encore une nouvelle expérience et le marathon est une épreuve exigente et cassante.

Il reste cependant un paradoxe car dans ma volonté de minimalisme. Je cours avec une montre connectée, habillé des vêtements on-ne-peut-plus synthétiques, au milieu de 55.000 autres participants dans l'un des plus gros marathons du monde. On est assez loin de la reconnexion avec la nature et d'un pur minimalisme.

Finalement, le question ne me semble pas être de vouloir être plus ou moins minimaliste. Simplement, c'est comme ça que j'aime courir.

Je ne me prends pas pour un Tarahumara. Je ne prétends pas inventer un nouvelle mode, j'ai d'ailleurs plutôt été intrigué et influencé par d'autres que porté par une réflexion préalable à ce choix.

C'est ce qui fait l'essence de ces épreuves. Se retrouver ensemble pour prendre du plaisir autour d'un objectif commun, et ce peut importe le moyen tant que l'on respecte les autres. C'est simple. Minimal.

Est-ce que je le fais pour me faire remarquer ? Peut-être un peu. Pas pour être vu à titre personnel, mais davantage aussi pour apporter ma faible contribution dans la remise en question de nos pratiques dans le sport.

Pourquoi ai-je besoin de cette nouvelle paire de chaussures ?

Est-ce que j'ai battu mon record grâce à des chaussures ou simplement car je me bien entraîné ?

Faut-il aller courir tous les marathons de la terre pour expérimenter de nouvelles choses dans ce sport formidable ?

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Alors ce dimanche 13 avril, si vous entendez un "clac-clac" dans les rues de Paris, il est probable que ce soit moi ou un•e autre collègue en sandales.

De deux choses l'une : non ce sont pas des tongs mais des sandales.

Et surtout, je dois bien l'avouer : je déteste les tongs.