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Ultra Instinct

11 décembre 2024 - 9 min

Super Sayians à vélo

Soyons clairs. Je ne connais rien à l'univers de Dragon Ball. Tout au plus je me souviens que quand j'étais petit, il y avait ce dessin animé que tous mes copains d'écoles regardait où les personnages changeait de couleur de cheveux en fonction de leurs pouvoirs - fin de mes connaissances en Anime.

Au moment de choisir un titre pour écrire ce qui va ressembler à une sorte d'introspection sur l'ultra tel que je le pratique, j'avais du mal à trouver quelque chose de court et incisif. J'ai tapé "Ultra" suivi de chaque première lettre mon clavier pour voir si Google aurait des idées à me soumettre. "ultra trail", "ultra ego", pas mal. Mais c'est "ultra instinct" qui a tout de suite résonné en moi sans même savoir de quoi il en retournait.

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Selon Wikipedia, Ultra Instinct est une traduction de 身勝手の極意, Migatte no gokui?, littérallement « Maîtrise des mouvements instinctifs ».

Si manifestement, ce n'était pas l'usage numéro un de ce pouvoir par Son Goku et bien qu'il existe dans ce monde merveilleux des figurines incroyables Dragon Ball Z à vélo - en fait, Brompton leur a tout piqué - j'ai croisé beaucoup de Sayain dans l'univers incroyable qui m'anime depuis maintenant 3 ans.

Je vais vous faire découvrir le monde parallèle dans lequel je vis quelques jours par an. Bienvenue à Ultrapolis.

Aller à la mer en vélo

Il faut bien entendu commencer par poser quelques définitions. Je vais parler d'ultra principalement par le prisme que je connais le mieux : l'ultracyclisme. Il s'agit d'une discipline particulière et qui gagne de plus en plus en popularité ces dernières années dont le principe et finalement assez simple : pédaler loin et longtemps.

C'est peut-être la définition la plus simple de l'ultra. Aller plus loin, beaucoup plus loin que les "normes" en vigueur, que ce soit dans ce qui socialement admis ou même des limites qu'on se pose à soi-même.

Courir 10km pour aller au bout de ce bois qu'on explorait jusqu'alors timidement.

Rouler 100km à vélo pour dépasser une barrière symbolique.

On se pose souvent la question de la borne inférieure qui détermine à partir de quand "on fait de l'ultra".

La "norme" de l'ultra à vélo - en tous les pour les "course d'ultra" autoproclamées - ce sont des distances qui varient en ordre de grandeur de 200 à 4000km pour des dénivelés qui peuvent aller jusqu'à 37000 mètres de dénivelé positif par exmple pour l'édition 2023 de la Race Across France sur son format 2500km.

Si la valeur des chiffres revêt une force symbolique, on se rend compte que tout n'est que relatif. C'est une question d'intention et de lâcher-priser.

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Et pour moi, la première fois c'était pour une occasion très précise : aller à la mer à vélo. L'idée de se lever un matin dans son cocon de banlieue parisienne, d'enfourcher son vélo et l'unique force de ses jambes - et si possible un petit vent sud-est favorable - rejoindre la mer.

Retrouver ce moment de grâce qui n'arrivait que dans la Renault 21 des parents lorsqu'on partait en vacances et qu'ils nous demandaient : "Tu as vu le mer ?"

Comme si on arrivait juste en pédalant à atteindre le bout d'un monde, et qu'une fois arrivé à destination, il nous sussurait à l'oreille : "Tu as vu la mer. Mais tu peux aller plus loin".

Unsupported ?

Au-delà des distances, c'est surtout une forme d'autonomie qui selon moi définit la notion d'ultra. En anglais, on appelle même cela "unsupported races" - par opposition aux courses "supported" où une assistance vous suit comme sur la Race Across America.

Cette terminologie peut sembler un peu galvaudée tant il faut quand même faire un constat très net : rares sont celles et ceux qui pourraient boucler 1000km à vélo sur un format complètement "unsupported". On a besoin de manger, de boire, de dormir et parfois simplement de parler.

L'idée derrière cette autonomie réside dans l'idée qu'il est nécessaire de trouver son "ultra instinct" pour prendre à tout moment la meilleure décision. Faire une pause pour recharger les batteries. Appeler un•e ami•e ou la famille. Simplement ralentir pour profiter du paysage.

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Mais continuer à avancer. C'est la seule règle qui doit guider l'instinct en ultra. Car quand vient la décision, parfois nécessaire et juste, d'abandonner un projet qu'on a souvent projeté des mois à l'avance, pour lequel on s'est préparés, c'est finalement le seul moment où vous serez complètement "unsupported". Cette décision vous revient car vous êtes seul•es, maître de la situation.

Pour ma part, j'ai toujours une chance assez incroyable d'avoir un "unsupported instinct" qui m'a toujours aidé à faire, si ce n'est les bonnes décisions à chaque fois, tout du moins à en prendre sans revenir en arrière.

Le baptême

C'est mon premier ultra. Au kilomètre 200 de la Race Acrross France 2022, l'orage annoncé s'abat sur le début de cette longue aventure partie du Touquet que j'ai planifiée il y a plus de 6 mois. Aucune expérience en ultra ni en bikepacking mais les milliers de kilomètres au compteur me donnent la confiance nécessaire pour me lancer dans cette aventure.

Mais force est de constater que la pluie redouble d'intensité et que la perspective d'entrer dans la nuit normande en étant trempé jusqu'aux os ne me ravit pas. Je décide alors de poser pied à terre et j'entends des gens parler depuis le petit abris-bus qui m'a accueilli. Instinctivement, je me dirige vers ces voix et je distingue vaguement des gens qui semblent se dire au revoir.

Probablement une fin de dîner entre amis mais je tente ma chance : "-Je peux remplir ma gourde ? -Entrez, entrez !". Hospitalité normande. Et je me retrouve malgré moi dans une salle des fêtes. Il est 1h du matin, on est entre le dessert et la café et les tables sont poussées pour lancer "les Démons de Minuit".

Je tente de raconter mon histoire de course à travers la France et on m'offre cafés, plats chauds, desserts. Je demande quel est l'occasion qui réunit ce beau monde si acceuillant : "C'est la baptême de Malo !".

C'était mon baptême aussi. Et même si je repartirai pour 20 heures sous la pluie, il sera réussi.

Ultrapolis

On est sur le plateau du Livradois-Forez, quelque part entre Montbrison et Ambert. En ce 14 juillet 2023, après m'être arrêté pour profiter d'une pause à l'hôtel et recharger les batteries, je repars sur la route avec en tête l'idée de passer rapidement ce passage qui culmine à 1400m d'altitude de nuit, afin de pouvoir rejoindre rapidement l'objectif de la journée dans le Massif Central.

Tout se passe bien malgré une crevaison rapidement négociée mais une fois arrivée en haut, tout change vite. Il fait froid et humide. Je n'ai pas assez récupérée et je m'engage dans une descente sinueuse, la route est mauvaise et la perspective d'un nouvel arrêt pour réparer ne m'attire pas particulièrement. Je contracte tous les muscles de mon corps pour éviter d'être pris de frissons, une technique qui marche plutôt bien mais qui a l'immense défaut de faire baisser vos réserves d'énergie assez vite, un peu à l'image d'un boost éphémère dans Mario Kart.

Un, deux, trois lacets et je rentre soudain dans Ultrapolis. En plein milieu d'un parc régional naturel, je découvre cette cité perdue, avec ses immenses tours de verre, par dizaines. Elles scintillent dans la nuit fraîche de ce calme nocturne. Tout en évitant les obstacles sur mon chemin, je contemple les formes modernes de ces tours. Pour un frontalier du quartier d'affaires de la Défense à Paris habitué des projets architecturaux dont l'utilité reste discutable de nos jours, je suis subjuguée.

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L'envie me prend de vouloir faire un petit détour pour visiter le lieu. Peut-être même pourrais-je y trouver un endroit où dormir à l'abri histoire de reprendre des forces.

Puis je vois le panneau "Ambert" au bout d'une longue ligne droite. J'ai parcouru quasiment 30 kilomètres dans Ultrapolis, mais cette fois-ci me revoici dans le monde réel. Il est 5h du matin alors que j'atteins le centre ville où un hall de banque me fait un signe chaleureux.

J'y dormirai une heure le temps de me reconnecter définitivement et de repartir. Il reste encore 800km avant d'atteindre Barcelone alors allons-y.

Toutes des héros

Les sports comme le cyclisme sont respectables à plus d'un titre mais s'il est bien un reproche qu'on peut leur faire dans notre monde occidental : c'est majoritairement un sport de mec riche.

Je n'échappe pas à la règle. Je fais partie d'une classe de gens aisés qui n'ont aucun problème pour s'acheter du matériel, du temps ou un dossard pour le Marathon de Paris, course "mythique" dont le taux de participation des femmes plafonne à 20%.

Quand on enfourche son vélo en vallée de Chevreuse le dimanche, on constate peu ou proue la même chose. Des hordes de gars - comme moi - qui ont dépensés une partie de leur économies pour laisser femme et enfants pendant une matinée pour aller prendre l'air sur un bolide payé bien trop cher.

Alors quand vient le temps de faire une introspection sur sa pratique et qu'on rencontre le monde de l'ultracyclisme, on découvre que si, là encore, le déséquilibre est très net, il y a une commaunauté à la volonté farouche d'essayer de faire changer les choses.

Cela fait maintenant quelques années que sur les épreuves BikingMan, auxquelles j'ai pu déjà prendre part deux fois, Laurianne Plaçais domine largement la majeure partie de la concurrence. Mieux, si cela est mis en avant par l'organisation à juste titre, pour les concurrents, on a ce sentiment que ce n'est plus un sujet.

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L'ultra redéfinie les métriques de la performance. Il ne s'agit pas seulement de puissance pure. On parle de résistance à la fatigue, à la douleur, aux aléas de santé ou climatiques auxquels il faut faire face pour continuer à avancer - et vite - dans toutes les conditions.

A l'arrivée de la "Three Peaks Bike Race", le contingent des 30 premier•ères concurrent•es que nous étions était d'une mixité que je n'avais pas encore vu jusqu'ici. De fait, il n'y a pas de profil pour réussir ce genre challenge pour peu que cela nous fasse envie.

On demande souvent aux participants d'ultracyclisme comment cela est physiquement possible, mais je pense justement que le physique n'est qu'une des nombreuses composantes que constitue ce sport, et qui ne saurait être réservé à une partie de la population.

J'ai toutefois bien conscience que si mon envie de vouloir mettre en avant cette diversité que je ne retrouve que rarement ailleurs, je fais quelque part partie du problème qui tend à l'uniformiser. Seule la volonté des organisateurs d'évènements mais surtout de un changement profond dans la société en général pourra nous faire comprendre qu'il est important de lever toutes les barrières pour permettre au plus grand nombre de s'épanouir dans ces disciplines.

Que ce soit pour aller à l'autre bout de la ville ou d'un continent, nous sommes toutes des héros.

"Plus jamais"

Une dernière rotation de la cheville pour déclencher la pédale automatique avant de mettre une dernière fois le pied à terre. Notre corps qui cinq minutes plus tôt commandait une accélération pour franchir la ligne d'arrivée sort de son rêve pour déclencher toutes sortes de douleurs qu'il ne savait même plus suggérer le jour précédent. Le sentiment est mitigé. On est content•e d'en avoir terminé mais c'est déjà fini. Une chose est sûr : quand je rentre, je pose le vélo et plus jamais je ne refais ça.

Quand on rentre à la maison, le bonheur de retrouver sa famille est incommensurable. La ligne d'arrivée est presque davantage matérialisable à ce moment. Pendant que le temps s'était distendu après plusieurs jours passés sur le vélo, la vie continuait ici et on est heureux de pouvoir se retrouver, d'autant plus que sans le soutien à distance de le famille, rien n'est possible. Mentalement, logisitiquement, physiquement. Jamais vraiment "unsupported".

Les jours passent et le cerveau range sa chambre. On rêve qu'on dort dans un cimetière, dans un parc pour enfants. J'ai rêvé pendant 10 jours de mon premier ultra tellement le choc psychologique pour la tête a été violent. Petit à petit, une douce dépression s'installe. On raconte, encore et encore les plus belles anecdotes de la course sans parvenir à traduire ce qu'on a vécu à la hauteur de l'intensité ressentie sur le moment. Parfois sans vraiment savoir ce qui est vrai de ce qui est romancé, tant tout paraît à la fois clair et en même temps irréel.

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La chambre maintenant rangée, les idées claires, le corps remis d'un choc dont il n'est pas particulièrement rancunier, on se rend compte qu'on est déjà en train de réfléchir à la prochaine fois. D'abord en profitant de n'importe quelle sortie, car la confiance en son corps après avoir entrepris ce genre de projet est telle que le plaisir d'une balade à vélo quelle qu'elle soit est intense. On ne veut plus prouver qu'on est capables. On est libres.

On voit aussi grandir une commaunauté qui foisonne d'idées et de ressources pour proposer des projets à la fois grandioses et en même temps réléchis à une échelle à quelques coups de pédales de notre porte. Pas besoin d'aller à l'autre bout de monde pour aller découvrir des endroits qu'on aurait jamais imaginé si proches. Pour rencontrer des gens qui était là, tout près de nous.

Et puis enfin l'idée de pouvoir transmettre à terme cette passion d'un mélange de découverte et d'humilité face à la grandeur du terrain de jeu qui nous entoure. Donner cette envie au plus grand nombre de découvrir sa manière de faire de l'ultra, qu'il soit à vélo, à pied, où dans n'importe quel forme permettant de découvrir cette machine incroyable qui nous sert de corps à explorer.