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Via Race Report - Jour 0

16 août 2025 - 5 min

Le souffle de la climatisation laisse place à une chaleur étouffante lorsque je franchis la porte du dernier train qui conclut le premier périple menant au début de ce genre d'aventure. J'ai mis un point d'honneur depuis quelques années que je participe à des ultras à me rendre au départ par le moyen le plus écologique possible - et évidemment à en revenir.

Ce n'est pas toujours simple, notamment lorsque l'on se lance dans des aventures au long cours à travers l'Europe et où généralement le point de départ se situe souvent à une extrémité.

La Via Race, Chapitre II d'une série de 3 courses, ne fait pas exception à la règle. Arrivée l'année dernière à Giovinazzo dans les Pouilles, elle a donné rendez-vous aux participant·es de cette édition au même endroit où elle avait quitté ses "éléphants" - les finishers de l'année passée.

Située à une trentaine de kilomètres de la capitale des Pouilles, cette petite ville est organisée autour de la place Vittorio Emanuele II qui nous servira d'écrin pour le départ d'une route qui nous mènera d'une mer à l'autre : la Méditerranée à quelques dizaines de mètres de la place et la mer du Nord, dont le dernier "checkpoint" - ou CP - nous attend environ 3 700 kilomètres plus loin, et qui signera un ultime demi-tour.

Nous rejoindrons alors l'ultime "place du village" du parcours, dans la ville d'Amerongen aux Pays-Bas, et son café cycliste de Proloog. Au total, environ 4000km et 40000 mètres de dénivelé positif.

Mais pour l'heure, je déambule en me dandinant comme un pantin désarticulé avec mon partenaire de route démonté dans sa sacoche, qui attend sagement son heure. Encore 35 degrés à 18h, je transpire à grosses gouttes en essayant désespérément de trouver le point de rendez-vous.

Il faut dire que si je suis fier d'avoir atteint le premier morceau de mon aventure par le moyen le plus sobre possible - en considérant que je ne pouvais raisonnablement pas m'y rendre à vélo - le trajet n'était pas de tout repos.

Porte à porte, 1 bus et 4 trains à prendre, une pause à Milan et un changement inattendu de train pour cause de "train qui n'existe plus" (sic). Concrètement, c'est plus cher que l'avion et la probabilité d'arriver en retard est relativement plus élevée, et je dois avouer que sur un trajet de 30h, 1h de retard me semble tout à fait correct.

C'est un principe que j'espère ne jamais renier : l'ultracyclisme est un sport de privilégié et le minimum que nous pouvons rendre à la nature qui nous offrira des moments suspendus dans le temps, c'est de réduire au maximum l'impact que nous pouvons avoir sur elle.

Toujours est-il qu'après un coup de fil à l'organisation et quelques errements dans la ville, j'entre finalement dans cette petite salle exiguë bon dernier, essayant de me faufiler sans me faire remarquer alors que commence le briefing d'avant-course présenté par Ian, l'organisateur de la course.

Dans cette salle, il n'y a aucun doute. Personne n'est là par hasard. Toutes ces personnes qui portent cette petite casquette bleue et blanche tamponnée à la guise de chacun ne se sont pas inscrites sur un coup de tête, tout du moins un coup de tête calculé.

Certains sont des têtes connues de ce petit monde de l'ultra et sont déjà concentrés sur la course quand d'autres semblent afficher un mélange d'excitation et de stress à moins de 24h de la course. Je fais clairement partie de la seconde catégorie - et je n'ai même pas encore la fameuse casquette en ma qualité de retardataire dont le vélo est toujours en plusieurs parties, à telle point que je réussirai à rater la personnalisation des seules 4 lettres que je souhaite apposer : "DUDU".

J'écoute le briefing de manière assez partielle. Mon regard curieux scrute l'ensemble des participant·es tandis que je finis de reprendre complètement mon souffle après mon sprint final pour tenter une "arrivée au départ" dans les temps. La seule bonne nouvelle qui ne tombe pas dans mon oreille à moitié sourde, c'est que ce fameux départ est décalé d'1h en raison "d'une mise à disposition tardive du personnel" comme l'aurait dit la SNCF. Comprenez, la police italienne qui nous escorte dans les premiers kilomètres aimerait bien profiter de son sommeil aussi. Le rendez-vous est donc pris à 8h demain matin, alors que je termine mon "check-in" avec Ian et Pete, le mécano de la course - par mécano, on entend bien sûr, une personne sachant réparer des vélos mais aussi faire tout le reste.

Je retrouve ensuite Ole, mon "buddy" rencontré quelques mois plus tôt par visioconférence. Les organisateur·trices souhaitent créer des liens dans la communauté et m'ont connecté avec lui afin que nous échangions sur nos préparatifs respectifs. Il est originaire de la région de Cologne et c'est sa première course ultradistance pour ce bikepacker chevronné qui a sillonné les routes d'Europe mais également un grimpeur habitué des randonnées en haute montagne. Lui a rejoint Giovinnazzio après avoir parcouru une bonne partie du trajet à vélo avec sa petite amie avant de terminer le voyage en train.

De mon côté, j'ai pu lui partager mon expérience des courses ultradistances, car malgré tout, je viens ici participer à mon neuvième ultra depuis 2022 - certes le plus long jamais tenté.

Nous avons pris ensemble un Airbnb à quelques dizaines de mètres de là, et cela permet de nous détendre plus facilement la veille du grand saut en échangeant sur nos états d'âme respectif à quelques heures de quitter notre rythme de vie habituel. On fait le plein de nourriture au supermarché, on règle les derniers détails des sacoches et alors que j'ai l'impression d'être parti Milan il y a quelques heures à peine, le soleil se couche sur les Pouilles et il est temps d'aller glaner quelques heures de sommeil qui ne seront pas de trop.

Je dors d'une traite et lorsque mes yeux s'ouvrent, le réveil affiche 6h40. Il est temps de se mettre en tenue et de rejoindre la place où convergent déjà la grosse centaine de participants. La ville a tout de même gonflé une arche pour l'occasion et on sent que c'est un petit événement.

Alors que je suis fin prêt et n'attends plus que d'enfourcher "mon BMC" en examinant les différentes configurations de vélo, un micro vient se présenter devant moi. Je pense à une radio locale mais la bonnette affiche bien le logo "Via Race". C'est Juliana, une ultracycliste et "podcasteuse" qui vient documenter cette aventure. Elle me demande à quoi je pense au moment de prendre le départ.

Je commence à répondre dans mon anglais teinté de mon joli accent français lorsque vient le moment d'évoquer les retrouvailles avec Pauline, Maël et Martin. Ma gorge se noue. Je termine ma phrase en séchant quelques larmes. Je pleure généralement au bout de quelques jours. Mais l'émotion est déjà là et me sert de motivation comme à chaque fois.

Les sirènes retentissent. Cette fois-ci, la police italienne est bien là et après quelques kilomètres de balade pour sortir de la ville en sécurité, les "aigles" - c'est le nom donné aux participant·es de cette année - sont lâchés.

La Via Race - Chapter II est officiellement partie et moi avec. Direction le CP1 dans 45km.