Code.Ride.Run.
Via Race Report - M+1
Plusieurs semaines se sont écoulées depuis l'arrivée. Avec un peu d'appréhension, j'ai rechaussé mes sandales pour reprendre les « bonnes » habitudes et mes allers-retours quotidiens au bureau en courant. Affublé de temps à autre de mon t-shirt de finisher, je raconte çà et là mes plus belles anecdotes de la course quand on me demande si « ça s'est bien passé ». Après plusieurs années à multiplier les expériences de ce genre, ce cérémonial est devenu presque commun pour tout le monde.
« Tu as l'habitude, maintenant ».
Il est vrai que l'expérience permet de relativiser le caractère extraordinaire - au sens littéral du terme - de ce que votre corps est prêt à vous laisser faire. J'accepte volontiers l'idée mais une chose est sûre : peu importe votre expérience, ce genre d'aventures vous transforme nécessairement tant la combinaison de l'épreuve physique et mentale provoque dans votre tête un beau bazar qu'il faut du temps pour ranger.
Une fois passées les émotions de la ligne d'arrivée, la petite bulle construite pendant l'aventure n'a pas tout de suite explosé comme c'est souvent le cas après les courses d'ultras où le temps presse, il faut vite rassembler ses affaires pour entamer le voyage du retour à la maison qui n'est pas forcément le plus simple. Pour la première fois, j'ai quelques jours pour profiter des retrouvailles avec la famille tout en continuant de vivre la course en convergeant plusieurs fois par jour vers le café-vélo De Proloog qui sert de QG jusqu'au dimanche après quoi l'organisation quittera Amerongen. L'application de suivi en direct jamais très loin, je continue de scruter frénétiquement les participants encore sur la route. Je me projette leurs difficultés, vérifie mécaniquement la météo et la direction du vent pour estimer l'heure où retentira la corne signalant l'arrivée d'un finisher. « Probably the best part of the race », me glisse Krystian.
Quand nous nous retrouvons une dernière fois dans ce lieu qui respire le vélo, au moment de commander le dixième cappuccino depuis mon arrivée, la scène ressemble à s'y méprendre à ce que nous avons vécu il n'y a pas si longtemps dans les Pouilles. Tout le monde porte sa casquette, désormais affublée des 3 tampons symbolisant chacun des passages aux refuges et à l'arrivée finale. Nous sommes assis en attendant la prise de parole d'Ian. Le silence se fait et l'euphorie du rassemblement de toute cette petite troupe laisse désormais place à une atmosphère chargée d'émotions. Les regards fatigués mais heureux se croisent. Il y a comme une ambiance de fin de colonie de vacances. Toutes ces personnes dont vous ne soupçonniez pas l'existence il y a encore peu et avec qui vous avez partagé tout au plus quelques heures par tranches de dix minutes sont désormais liées à vous. Certaines sont déjà vos amies et dans tous les cas, ces petits points sur une carte sont devenus des visages qui resteront bien ancrés dans votre mémoire.
Nous partageons un dernier repas où je retrouve avec joie Ole qui est venu profiter de l'atmosphère de l'arrivée et nous devons nous ranger. Au moment où le soleil se couche, nous replions les tables installées pour l'occasion sur la place centrale du village comme on range l'estrade à la fin de la fête de l'école. Il est temps de se dire au revoir et à bientôt car nous savons pour la plupart que notre monde de l'ultracyclisme est - encore - suffisamment petit pour que nos routes se croisent très vite. Comme nous restons encore sur place deux jours, je viendrai quand je le peux accueillir les participants dans l'intimité d'une place désormais libérée de ses oriflammes labellisées « Via Race ».
La suite des vacances ressemble en partie à une tentative de prolongement de la course. Nous avons opté pour profiter de la relative fraîcheur de la Forêt-Noire pour nous reposer quelques jours avec les enfants, ce qui nous permet de profiter du Titisee Lake et des Bächle de Fribourg cette fois en prenant le temps de profiter de ces lieux désormais bien connus. Et de prendre la B31 en toute sécurité.
Le corps aussi commence à reprendre sa forme initiale. Les mains sont encore engourdies ou affaiblies. La peau des parties les plus sensibles peut enfin se réparer. Les genoux et les pieds dégonflent. Ses envies sont très simples. Il a besoin de manger et dormir. Comme prévu, les premières nuits sont particulières. Mon cerveau est toujours branché sur la course. Je pédale dans mon sommeil et suis perturbé de ne pas réussir à avancer. Cela durera pas moins de deux semaines supplémentaires.
J'ai besoin de temps pour réaliser que j'ai terminé cette course.
« Du coup, le prochain truc c'est quoi ? »
La question est légitime et d'ailleurs anodine pour celui ou celle qui vous la pose mais la réponse n'est pour l'instant pas évidente. D'abord, car je suis finalement encore dans cette course, et que l'énergie nécessaire pour retranscrire une partie de ce que j'ai pu vivre à travers ces quelques lignes est importante. Ensuite, car je ne sais pas encore de quoi j'ai envie pour la suite. J'écris à Sebastian pour prendre des nouvelles.
« And you ? How are you ? »
C'est un fait. Le blues post-ultra n'est pas un mythe et heureusement, les courses sont nombreuses et les réseaux sociaux remplis d'histoires d'aventures qui vous permettent de vous projeter sur la prochaine étape. Je ne me suis jamais senti aussi bien juste après une épreuve de cette envergure et j'assume désormais être légitime en tant qu'ultracycliste - ne l'étais-je déjà pas ? Mais je ne suis pas seul dans ce choix et j'en suis heureux car notre discipline a ce défaut de vous pousser à vouloir faire toujours plus, plus loin, plus longtemps.
Transmettre est sans doute l'idée qui me revient le plus à l'esprit. Partager cette idée que le dépaysement n'est qu'à quelques coups de pédales.
Faire 50 km. 100 km.
Puis aller à la mer.
Puis traverser un pays.
Puis un continent.
Avec vos seules jambes.
« You go for Chapter III ? »
Je n'en sais rien mais la tête y sera forcément.
J'atteins le boulevard Sébastopol. Voilà plus d'un mois que je n'ai pas laissé apprécier au voisinage du Centre Pompidou le doux bruit de mes « claquettes ». Il est toujours là. J'évolue à la vitesse à laquelle mes jambes veulent bien reprendre la course à pied. Il se retourne vers moi et ne s'y trompe pas : « Oh ! Salut le coureur ! ». L'inconnu de Sébastopol ne m'a pas oublié.