Code.Ride.Run.

Via Race Report - Jour 11

1 septembre 2025 - 7 min

Comme si j'avais raté la rentrée des classes un 1er septembre. Mon cœur palpite sous l'effet du stress provoqué par le fait d'avoir manqué mon réveil. Je rassemble mes affaires le plus vite possible et enfile deux cafés brûlants dans la chambre de l'hôtel. Un petit coup d'œil au système de suivi en direct me fait comprendre qu'à partir de maintenant, le reste de mon périple sera totalement solitaire car Sebastian et Anthony ont tous les deux une avance de près de 100 km et les concurrents derrière moi sont à peine au pied du Grand Ballon. Sur le coup, j'ai l'impression d'avoir gâché ma course jusqu'ici parfaite. L'habitude de commencer mes journées avant le lever du soleil, les petits-déjeuners à l'ouverture des boulangeries, la satisfaction d'avoir parcouru presque 200 km à la mi-journée : tous mes points de repères volent en éclats à ce moment-là. Une fois passé ce moment désagréable, je prends du recul sur la situation : j'ai dormi 7 h, je suis plus reposé que jamais, en bonne santé comme mon vélo.

J'enfourche alors mon vélo et attaque les 50 km en ligne droite sur la Véloroute du Rhin. L'itinéraire du jour est simple : suivre le Rhin, encore et encore puis bifurquer vers Francfort après Mannheim dans 250 km donc j'ai le temps de voir venir. Forcément, le repos et l'adrénaline de vouloir rattraper mon « retard » me permettent un départ « rapide » : 27 km/h de moyenne sur la première heure, ça faisait bien longtemps que je n'avais pas roulé aussi vite, certes avec un profil et un vent plus que favorables mais tout est bon à prendre pour se refaire une santé mentale. Ce décor de chemin de halage est certes monotone - oui, avec les kilomètres, on devient très exigeant sur la qualité des paysages - mais je ne boude pas le fait d'être à l'abri du trafic même si les racines qui soulèvent les tronçons longés par les arbres ne permettent pas toujours un rendement maximal.

Alors que j'entre dans Strasbourg, un énième enchaînement de racines me ralentit et je tente de passer une vitesse mais rien ne se passe. Je n'y pensais presque plus mais ce dérailleur électrique qui m'a fait douter avant la course et que j'avais presque oublié se rappelle à mon bon souvenir : plus de batterie. Car oui, même propulsé par la force de mes jambes, je remets le confort de pouvoir adapter la puissance nécessaire au profil de la route à une batterie. Heureusement pour moi, j'ai un modèle qui me permet de recharger en roulant, mais déjà, je commence à douter de la capacité de ce dernier à arriver au bout de l'aventure. « Après tout, il n'y a plus de montagnes », me dis-je. C'est vrai que malgré ses caprices, ce dérailleur m'a toujours lâché après les portions accidentées puisque la dernière fois qu'il m'a surpris, c'était dans le plat pays alors que je finissais l'ascension du Koppenberg.

Je repars après un ravitaillement quasi express - au sens où les supermarchés français ne sont pas les mieux organisés du monde pour vous permettre des ravitaillements efficaces - et continue ma route le long de la frontière qui me rapproche progressivement à nouveau de l'Allemagne. Je joue au chat et à la souris avec des orages qui tournent autour de moi tout en pensant à ma stratégie du jour. Dormir moins pour refaire mon retard sur mes prédécesseurs ? Assumer une nouvelle nuit de 7 h tellement je me sens bien aujourd'hui ? La question du sommeil en ultradistance est toujours à l'origine de débats passionnés.

Il y a les puristes, ceux pour qui l'ultra est par définition un combat avec son corps privé de sommeil, où les hallucinations oculaires et auditives font partie du folklore et qui assument volontiers s'être déjà endormis au « guidon » si ce n'est pas même avoir terminé, au mieux, dans un fossé par manque d'énergie. Quand j'ai commencé l'ultradistance, j'ai surtout été confronté à ce genre de profils expérimentés et je n'ai jamais cherché à remettre en question cette stratégie. Moins dormir. Rouler plus. Moins vite, certes, mais plus. J'ai moi-même expérimenté les limites de mon corps sur la privation de sommeil, enchaînant parfois des ascensions et des descentes sans même m'en souvenir quelques heures plus tard. Comme ce matin sur la Race Across France où j'ai failli abandonner, au bord de l'épuisement car j'avais enchaîné l'intégralité de la portion alpine sans repos. Arrivé à Allemond au pied du Col du Glandon, je me suis assoupi 5 minutes dans un abribus avant d'être réveillé par un bruit sourd. Celui de ma propre chute sur mon vélo.

Avec le temps, j'ai compris l'intérêt du sommeil dans l'épreuve. De plus en plus d'ailleurs, je rencontre davantage de participants expérimentés qui revendiquent ce besoin de dormir pour être efficace et surtout, en sécurité sur le vélo. Quand vous attaquez une épreuve de 4 000 km, la question ne se pose même plus de savoir si le sommeil peut être économisé ou pas. Chacun a ses aptitudes et sa stratégie pour l'optimiser mais c'est un fait : vous ne pouvez pas rouler entre 10 et 15 jours sans dormir, qui plus est lorsque vous envisagez de partager la route avec des personnes qui n'ont aucune idée que non seulement, dépasser un vélo nécessite au minimum 1 m 50 d'écart, mais que cet espace est fort à propos avec un individu qui peut faire un écart à tout moment à cause de la fatigue. Ces derniers jours, j'ai également compris que si le temps imparti au sommeil avait son importance, la qualité de celui-ci jouait aussi beaucoup et que, peu importe que vous choisissiez de dormir dehors ou à l'hôtel, bien dormir est essentiel.

C'est la raison pour laquelle j'avais décidé de ne plus mettre de réveil tant que je ne me sentais pas complètement en énergie jusqu'à la nuit dernière où je souhaitais retrouver mon rythme de « marin du Vendée Globe ». Heureusement pour moi, mon corps s'est rappelé à moi.

Ces pensées m'amènent à me poser des questions sur mon état réel de repos alors que j'atteins Mannheim et que, sans avoir vraiment vu passer cette journée démarrée plus tardivement, il est déjà 18 h et que définir une nouvelle fois un plan pour profiter d'un potentiel dernier repos me questionne. À la fin de la journée, il restera moins de 700 km, et si la météo le permet, j'envisage une nouvelle fois de ne plus trop m'arrêter afin de réussir à arriver jeudi. Si une arrivée dans l'après-midi semble maintenant compromise, je vais tenter le tout pour le tout pour être « là-bas » dans la soirée. Pour l'heure, je balaie frénétiquement les options valides sur « booking.com » et tombe sur cet hôtel situé à quelques kilomètres après Francfort. Banco.

Un dernier ravitaillement et je décide d'embarquer avec moi une boisson énergisante. Mon joker. Si je consomme le café en quantité depuis le départ, j'ai toujours considéré les boissons « énergisantes » comme le dernier recours « en cas d'urgence », pour atteindre un endroit en sécurité si un gros coup de fatigue venait à se manifester. Si pour l'instant je me sens bien, je connais également l'effet de la tombée de la nuit et la vitesse à laquelle vous pouvez passer d'un état euphorique à une sensation de somnolence absolue. Le contexte dans lequel je suis s'y prête parfaitement. De longues lignes droites sur des pistes cyclables traversant des portions très boisées et donc très humides même en été à la tombée de la nuit. Vous remontez les manchettes puis les jambières. Puis vous commencez à réfléchir à mettre une veste. Ou pas.

Viennent alors les pensées. D'abord une discussion avec vous-même, votre stratégie. Vous « zappez » frénétiquement les pages de votre compteur GPS pour voir les kilomètres restants défiler ou scruter un changement de direction dont vous savez qu'il n'interviendra pas avant plusieurs minutes. Puis des bouts de chansons, ou des voix. Si l'épisode se prolonge sans que vous n'identifiez l'état dans lequel vous entrez, les premières hallucinations arriveront. Pour ma part, un peu d'animation se profile à l'horizon. La route s'élève un petit peu, je dois me mettre en danseuse. Un long faux-plat m'amène dans les rues de Francfort.

Si les traversées d'agglomération en journée sont souvent synonymes de pertes de temps, la nuit vous apporte un tout autre spectacle. La ville est à vous. Vous assistez à toutes sortes de petites saynètes, tout en attirant le regard curieux et parfois suspect des personnes qui ne comprennent pas pourquoi un cycliste vient se perdre en pleine ville un soir d'été. Le tout avec une lumière frontale sur le casque qui vous rend aveugle si vous croisez son regard. Les grandes villes, souvent construites sur des fleuves, permettent ensuite la fameuse « pause de la traversée du pont ». Mon tracé me fait traverser l'Alte Brücke, le plus vieux pont de Francfort, me permettant d'admirer le quartier d'affaires aux airs de Gotham City à cette heure de la nuit. Je prends une respiration pour admirer ce paysage à la fois artificiel et fascinant.

Ce soir-là, n'ayant pas encore réglé la question de la stratégie finale, j'ai quand même rattrapé un concurrent. Matt, que je n'ai plus vu en vrai depuis plusieurs jours, se trouve dans le même hôtel que moi. Il est probable qu'il parte à peine quelques minutes après mon arrivée mais c'est tout le paradoxe de l'ultra.

J'organise mes affaires pour demain dans ce qui ressemble davantage à un appartement qu'à une chambre d'hôtel et où, en temps normal, je profiterais 10 bonnes heures de cette literie parfaite. Mais on s'approche du but.

Est-ce que je peux encore « faire la course » ? Matt est juste ici, Sebastian pas si loin.

Après 3 300 km, un rien nous sépare. Mais le sommeil reste le juge de paix.

Et ce qui vous tient éveillé le lendemain. Je remets mon alarme. Puis deux. Puis trois.

Celle-là je ne la raterai pas.