Code.Ride.Run.

Via Race Report - Jour 12

4 septembre 2025 - 6 min

Cela fait un peu plus de 36 h que j'ai croisé Sebastian et je n'ai pas eu une vraie interaction sociale.

Si pédaler, dormir peu, manger en permanence une alimentation plutôt douteuse - tout aussi douteuse que l'hygiène globale de mon corps pourtant maintenant à flot grâce à la douche quotidienne salvatrice - est difficile, la vraie difficulté de cette épreuve reste avant tout la « solitude ». Je ne suis évidemment pas coupé du monde et cette course traversant l'Europe dans des endroits qui restent majoritairement baignés par la 5G ne vous éloigne pas autant de toute activité humaine que certaines épreuves « off-road » où vous pouvez passer plus de 24 h sans réseau, ravitaillement ni possibilité de réserver un hôtel sur Airbnb. C'est d'ailleurs paradoxalement ce qu'on cherche à trouver dans cette catégorie « solo unsupported » ou tout du moins c'est souvent comme ça qu'on le présente. L'idée que nous sommes autonomes lors de notre voyage et qu'on ne peut compter que sur « soi ». Certes, nous sommes seuls face à nos choix, notre stratégie, et notre capacité à résister mentalement au fait que si nous aimons énormément le vélo, notre corps nous dicte souvent d'arrêter là, maintenant, tout de suite. On vient se réfugier dans cette bulle où la vie est quelque part beaucoup plus simple : pédaler, manger, dormir. Cette partie de la solitude est celle qui nous permet de nous évader quelques jours de la complexité du monde qui nous entoure et dont on cherche égoïstement à s'extraire avec, en bonus, la récompense ultime faite à notre espèce qui adore explorer les alentours.

L'être humain restant pour autant un être social, le besoin d'échanger avec d'autres personnes IRL - dans la vraie vie - se manifeste très vite. Alors, vous chérissez chaque moment passé avec tous les gens que vous croisez. Si les paysages que j'ai traversés jusqu'ici m'ont ébloui et permis d'associer des moments très forts avec des points sur la carte, il en est de même pour mes contacts humains, aussi furtifs soient-ils. Je pense me souvenir de la plupart des visages des personnes qui m'ont fait avancer chaque jour.

J'enchaîne depuis ce matin la traversée de bourgades allemandes que j'ai l'impression de connaître aussi bien que les centres-bourgs français que j'avais adoré retrouver. Aujourd'hui, le but est d'atteindre l'ultime CP - j'ai arrêté de compter - dans la Forêt de Teutoburg à partir duquel j'orienterai ma boussole au Nord-Ouest pour atteindre la mer du Nord, après seulement une dizaine de jours écoulés depuis que j'ai laissé la mer Adriatique derrière moi. Alors qu'il reste pourtant encore un bon nombre de kilomètres avant de projeter l'arrivée finale, j'entreprends de me remémorer toutes ces rencontres qui ont façonné mon voyage depuis que j'ai quitté Paris.

L'hôtesse de Trenitalia qui a passé un long moment pour m'assurer de pouvoir rejoindre Bari. Le premier ravitaillement avant le « drama des banned roads » et cette focaccia incroyable. L'équipe de l'hôtel qui s'écharpe sur le calcul de la note le premier soir pour que je paie le bon prix. Les moues italiennes intriguées de ces commandes doublées en cafés, croissants, glaces. La générosité des hôtes cherchant toujours à vous proposer ce qui leur « reste » car vous annoncez que non, vous ne prendrez pas le petit-déjeuner. Les touristes éméchés dans le lobby cherchant à jouer les apprentis gestionnaires. Les vrais gestionnaires qui malgré l'heure tardive, trouvent toujours une solution pour vous loger. Les regards curieux mais toujours bienveillants des employés de stations-services me voyant méthodiquement dévaliser leurs rayons avant de demander l'accès aux toilettes. Les passionnés de vélo, en tenue ou non, qui veulent en savoir plus sur votre aventure et qui trouvent que vous avez un « sacré beau vélo ». À titre personnel, j'en pense qu'il est aussi sacrément lourd. Les appels de phares des voitures cherchant à identifier à qui appartient ce phare très éblouissant qui leur arrive droit devant. Ces retraités qui n'ont certainement pas plus compris que moi pourquoi j'ai élu leur cantine comme point de ravitaillement. Sachez que votre tarte aux myrtilles y est excellente et que c'est possiblement l'un de mes meilleurs choix. Les mécanos prêts à réparer votre roue et qui semblent constamment me suivre comme des anges-gardiens, tellement j'ai la chance de subir mes crevaisons aux bons endroits. Même toi, le seul automobiliste - français bien sûr - avec qui j'ai eu une conversation cordiale mais appuyée au sujet du code de la route, tu m'as fait sourire. Je n'oublie évidemment pas ceux qui organisent cette course et ont créé ces « bulles à l'intérieur de la bulle » dans les refuges et que j'ai déjà hâte de remercier dans maintenant quelques heures.

La liste est incomplète, mais derrière cette liste se cache un nombre incroyable de discussions, banales, souvent accompagnées de gestes tant l'allemand et l'italien ne sont pas spécialement des langues que j'arrive à dompter pour le moment. Des regards toujours bienveillants car si tous ces moments étaient aussi des pauses dans ma progression qu'on essaie toujours d'optimiser, j'ai toujours souhaité prendre le temps de sourire à ces personnes, d'être le plus agréable possible, sans doute peut-être pour masquer l'état lamentable dans lequel je me suis présenté à elles dans ces moments-là. Des moments probablement déjà oubliés pour certaines, mais que je suis capable de décrire précisément, tant ces moments d'interactions sont précieux.

Alors que j'ai déjà bientôt atteint le point culminant de la journée, je commence à voir de nombreux participants franchir la ligne par l'intermédiaire du suivi de la course et du compte Instagram qui relate, une par une, l'arrivée de ceux-ci, chacune comme une victoire. Anthony, Sebastian et Matt progressent toujours aussi bien. Nul doute qu'ils seront à l'heure pour le dîner demain soir. Pour ma part, si je peux être là pour le digestif, je ferai mon possible. Je prévois mon arrêt juste avant la nuit et la frontière néerlandaise alors que j'atteins le CP. Cette profonde introspection m'en a presque fait oublier le cadre magnifique, et pour le moins pentu, de cette ascension, servie par une dernière portion bien abrupte où semble s'organiser au sommet, un festival de musique où je n'aurai malheureusement pas l'occasion de faire une halte. J'enchaîne alors sur une section favorable et rapide et décide d'un dernier ravitaillement dans la ville de Bielefeld.

Ce n'est pas à proprement parler une ville fantôme. Je vois des gens et de l'activité en ce jour dont j'ai oublié le nom car mes repères temporels commencent à être bien altérés mais le nombre impressionnant de travaux de rénovation de voiries barre l'accès à une bonne moitié du centre, semblant couper court à toute vie sociale digne de ce nom. J'y déguste un hamburger végane - je commence tout doucement à me réacclimater - tout en chargeant ma batterie de dérailleur à nouveau vide. Ce problème tombe à point nommé, j'ai besoin d'un sujet de réflexion pour combler mes pensées.

« J'ai un problème de Di2, c'est la galère. » Non, ce n'est pas la galère mais simplement j'ai envie de discuter avec mes amis alors j'envoie des messages générant des réponses généralement rapidement quand ce ne sont pas des appels vidéo. Car si les contacts IRL ont été un point clé jusqu'ici de mon aventure, je ne serai jamais assez reconnaissant pour tous les messages de soutien, d'encouragements et autres questions que j'ai reçus.

Cyrille, le « binôme » et son conseil salvateur qui me fera trouver la clé de la panne de dérailleur. Matt et Max, mes compagnons d'ultra sur le BikingMan il y a à peine 2 mois. Le spinoff running du « Miracle Morning » parisien, et ses encouragements toujours à la bonne heure. Entre 5 h et 6 h du matin. La team Balec, qui s'impatiente car mes débriefs « naked man » se font rares. Simon et Laurent, en pleine bagarre avec leurs lignes droites de la NorthCape 4000. Fernando, qui a mis des cœurs sur l'intégralité de tout ce que j'ai posté sur les réseaux. Tous les amis qui ne comprennent toujours pas ce que je fais mais qui se demandent si « j'ai pas mal au cul » (sic) Jow, l'appli qui sait faire les courses et qui me soutient quand moi je fais la course. Ma famille et celle de Pauline, et en premier lieu ma sœur et mes parents, qui suivent à la seconde mon périple. Et puis eux ❤️ Et puis elle ❤️❤️

(Et tous ceux que je regrette déjà d'avoir oubliés)

J'arrive à l'hôtel vers minuit où pour la première fois, l'accueil est absolument indifférent à ma présence, mais me donne un accès rapide à ma chambre où j'entreprends de répondre méthodiquement à ces messages, assurant que demain sera le grand jour de l'arrivée. Il reste un peu plus de 400 kilomètres quasiment plat et je suis confiant de mettre mes dernières forces dans la bataille pour y parvenir.

Au moment de me réveiller, les jambes sont lourdes, un peu plus que les jours précédents mais la motivation n'a jamais été aussi forte. Je suis persuadé d'atteindre mon objectif ce soir. Il faudra pourtant réaliser le plus gros kilométrage de toute la course en une journée.

« C'est plat », me dis-je.