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Via Race Report - Jour 2

18 août 2025 - 6 min

Le programme s'annonce gourmand aujourd'hui. À travers les Apennins, l'objectif sera de rallier le plus tôt possible le CP3 et l'un des points d'orgue de la course : Campo Imperatore.

Cette plaine perchée à 2 000m d'altitude que je ne connaissais pas avant de tracer ma route a évoqué beaucoup de souvenirs à certain·es quand j'ai évoqué ce nom.

Mais la route et les ascensions seront longues avant d'atteindre ce lieu qui a servi de prison à Mussolini et alors que le soleil brille déjà bien annonçant une chaude journée, je m'octroie un petit déjeuner copieux à Isernia, la tête toujours engluée par mes 2 problèmes de la veille.

Je règle le premier en envoyant un message d'explication et d'excuse à Ian pour sauver ce qui me reste d'honnêteté. À ce moment, je n'ai pas encore conscience qu'une grosse partie des concurrent·es ont fait le même choix. « We'll sort that out », me rassure-t-il. Cela m'enlève un poids certain. Ce sera fait lors d'un petit sermon mérité à la ligne d'arrivée, enjoignant une nouvelle fois à dépasser nos pulsions pour simplement respecter les règles. Ce sera l'occasion d'ailleurs de célébrer le fair-play de Jair dont je parlais précédemment.

Pour ce qui est du second problème, voilà maintenant 150km que je roule avec un joli trémolo dans la roue avant. Je profite d'arriver au sommet d'une ascension pour démonter à nouveau intégralement mon pneu, cette fois à la lumière du jour. Le verdict est sans appel : ce pneu n'ira pas au bout. Reste maintenant à trouver un magasin de vélo ouvert un dimanche, alors qu'il est déjà bientôt 12h. Je n'ai même pas le temps d'apprécier la descente qu'apparaît alors au milieu d'une zone d'activité le graal. « Le retour du karma », me dis-je. Je ne fais pas la fine bouche sur la marque ni la taille, je prends ce qui est disponible et même si j'aime le confort de mes pneus de 32mm, 28mm à l'avant en bon état sera largement suffisant. Un arrêt qui me permet de recharger les batteries avec une petite sieste de 15min et me voilà reparti.

J'attaque le début de l'après-midi en ayant réglé mes deux inquiétudes du moment. Déjà une journée réussie. Ne reste plus que la formalité de 150km et quelques 3 000 mètres de dénivelé supplémentaires.

Si les premier·ères du classement ont déjà passé ce que j'espère atteindre avant la nuit, les positions sont encore suffisamment resserrées pour croiser encore beaucoup d'autres participant·es.

Matt, un participant britannique que j'avais croisé sur mon premier ultra - j'y reviendrai - joue au chassé-croisé avec moi. Il roule bien plus fort mais s'arrête régulièrement pour se protéger la peau du soleil qui se fait déjà bien haut. Alors que j'attaque les premières rampes amenant au pied de l'ascension de Campo Imperatore, il me dépose sans forcer dans des portions au bitume très abîmé et exposé au soleil, mais découvrant petit à petit un paysage absolument magnifique. J'ai déjà hâte d'être en haut pour admirer la vue.

Une petite pause glacée avant l'assaut final et je suis alors rattrapé par Krystian, un Polonais avec qui j'échange pendant un petit moment. Il souffre depuis le début de la course car malade, il avait beaucoup de difficultés à respirer. Pour autant, il a dû lever le pied pour se mettre à mon rythme et après une chouette discussion pour parler de nos expériences respectives. Il me parle de son vécu sur la TCR : la TransContinental Race. C'est un peu le "All-Star Game" de l'ultra-distance tant par sa distance (environ 5 000km), son parcours pas toujours cyclable, ses petits "dramas" et une conception unique, poussée à l'extrême de l'ultradistance. Elle fascine autant qu'elle génère de débats dans ce microcosme par sa façon de rendre la course encore plus éprouvante. Au moment où avait lieu notre conversation, un Français de 23 ans, prodige de notre discipline était en train de réaliser un exploit fabuleux qui allait lui permettre de décrocher une victoire de prestige, seulement 10 jours après avoir quitté Saint-Jacques-de-Compostelle.

Alors que nous débattions de si "oui ou non, parler avec un·e autre concurrent·e en ultra, c'est tricher ?", nous atteignons le plateau culminant à 1 600m d'altitude qui marque le pied de l'ascension vers l'hôtel de Campo Imperatore, imposant alors un silence dans notre discussion, le souffle coupé par un spectacle magnifique à l'heure où le soleil atteignait le bout de sa course quotidienne. Krystian poursuit alors sa route car lui aussi, comme Matt, appuie décidément bien fort sur les pédales quand la route s'élève.

Ces courses sont aussi là pour ça. L'occasion d'échanger dans un anglais approximatif - le mien, de nos expériences de vie si différentes qui pourtant nous amènent au même endroit au même moment. La fatigue jouant, les échanges en anglais dans une langue qui n'est souvent pas maternelle amènent son lot de confusion et d'incompréhension. Je sais d'ailleurs que nous sommes très peu de Français·es engagé·es dans cette aventure et je ne sais pas si j'aurais l'occasion de pouvoir échanger en français dans les prochains jours.

Les 10 derniers kilomètres de l'ascension sont extraordinaires. Je suis pour le coup très heureux de pouvoir me retrouver seul à ce moment, pour profiter de ces paysages somptueux, qui me rappellent un mélange des plaines du pied du Puy-Mary ou de l'ascension du Col d'Aubisque. Tout y semble très sauvage mais des bêtes sont ici en pâturage comme si de rien n'était. Alors que je vois se dessiner l'esplanade qui sert de sommet, je m'arrache pour égrener les derniers mètres de dénivelé car je sens la fatigue s'installer après être parti depuis plus de 16h de mon point de départ matinal. Je découvre ce bâtiment rouge brique à l'enduit abîmé par le temps et probablement des conditions météorologiques propres aux altitudes supérieures à 2 000m. Il fait face à un ensemble d'installations d'observation non sans rappeler l'observatoire du pic du Midi. Je reste quelques minutes, un peu subjugué par l'endroit mais de peur de prendre froid, j'enfile ma veste et je continue ma route car la nuit tombe et je me mets en quête d'un endroit pour dormir ce soir. Convaincu par l'efficacité de ma nuit précédente, je cherche un hôtel afin de pouvoir me laver correctement et repartir dans la nuit.

Tout en pédalant, je regarde les hôtels disponibles en bas de la longue descente en direction de L'Aquila et le pied de l'ascension du CP4 que nous enchaînons et que j'espère effectuer cette nuit. Je tombe sur un hôtel où je trouve la dernière grande chambre disponible. Joie. Et un restaurant encore ouvert. Grande joie. J'y retrouve Krystian qui fait lui aussi le plein d'énergie et je m'attable avec lui. Il étudie les options potentielles pour la route à suivre car il semble qu'un chemin "gravel" - non asphalté et plus ou moins praticable en vélo de route - permette d'arriver plus rapidement au sommet que par la route. Tout en étudiant cette stratégie alternative également, je demande le menu pour manger rapidement : un plat de "Tagliatelles", parfait. Du moins c'est ce que je pense jusqu'au moment où mon assiette arrive et six beaux morceaux de viande mais pas un gramme de pâtes garnissent l'assiette. Je pense d'abord à une erreur mais on dirait que si mon anglais reste potable, mon italien lui est un peu moins efficace après 300km aujourd'hui. Pas de bol, pour un végétarien mais je n'aime pas le gâchis, ce sera donc le plat du soir.

Au moment de payer, débarquent deux nouveaux concurrents : l'un a déjà réservé, l'autre non. Plus de chambres disponibles. Krystian hésitait déjà à rester, et je propose de partager ma chambre puisqu'elle est immense et peut largement accueillir une ou deux personnes de plus. S'ensuit un dialogue ubuesque entre nous et le gestionnaire de l'hôtel qui a bien du mal à comprendre qui reste, qui part et pourquoi diable veulent-ils tous dormir 2h et repartir. Finalement, Krystian décide de poursuivre sa route et je propose au la dernier concurrent de partager la chambre avec moi. J'ai d'ailleurs un sacré doute car son accent anglais me semble un peu familier.

"T'es français ?" "- Oui."

Je fais donc la connaissance d'Anthony, un athlète du pays basque que je n'avais pas encore croisé et qui a participé à l'édition précédente. Lui est un peu diminué par des problèmes d'alimentation depuis le départ mais la forme semble revenir et la perspective d'une nuit de repos le rend optimiste pour la suite. Il pense dormir 4h ou 5h. Quant à moi, je reste sur mon rythme d'1h30 à 2h, en laissant mon corps jouer l'horloge.

Cet échange en français m'a fait beaucoup de bien mine de rien et j'espère recroiser son chemin le lendemain.

Je repars vers 1h pour une longue ascension de nuit, découpée en plusieurs morceaux qui devrait m'amener au CP4 au petit matin.

Après 3h30 de route, et une longue descente, je sens la fatigue m'appeler et je trouve un petit abri dans le village de Posta pour une petite sieste de 20 minutes. Je repars en ayant l'impression d'avoir dormi 3h de plus et quelques mètres après mon redémarrage, je croise un nouveau concurrent. "Hey, I'm Sebastian, from Colombia but I live in Germany".

Via Race from the world.