Code.Ride.Run.

Via Race Report - Jour 4

21 août 2025 - 9 min

« Una bici molto bella ! »

Ce café est un peu la pépite inespérée alors même que les premières lueurs du jour apparaissent. Après la petite sieste de rigueur, je traînais un peu mon âme en imaginant devoir attendre deux heures de plus avant de trouver un ravitaillement ouvert.

Alors que nous approchons Florence, la ville de San Giovanni Valdarno semble être un point de rencontre des routier·ère·s qui passent par ce coin à proximité de l'Autostrada del Sole qui traverse l'Italie du Nord au Sud. Ma machine semble intriguer les client·e·s déjà nombreux·ses au comptoir alors que j'ai commandé de quoi démarrer le moteur une bonne fois pour toutes.

Mon italien approximatif se limitant à quelques signes, je montre sur mon téléphone l'itinéraire que je suis, déclenchant tantôt une moue dubitative, tantôt des yeux écarquillés et un pouce levé, alors même que je suis bien plus admiratif de ces gens qui parcourent eux aussi des milliers de kilomètres de jour comme de nuit. Finalement, on est toutes et tous aussi content·e·s de pouvoir se réchauffer autour d'un café même si la température extérieure est déjà bien clémente.

Je prends le temps de m'asseoir pour profiter de mon petit déjeuner nocturne, et j'ouvre mécaniquement l'application de suivi en direct de la course. Accroché dans un petit pochon fixé sous le tube supérieur de mon cadre, ce « tracker » est ce qui me relie à la course, aux autres participant·e·s et bien entendu à ma famille et mes ami·e·s qui souhaitent pouvoir suivre mon avancée.

Comme tout système de suivi de ce genre, il vient avec son lot d'avantages et d'inconvénients. La majeure partie du temps, il est là pour assurer que « si, si, c'est bon il bouge. Regarde, 7,8km/h il y a 5 minutes. Bon, c'est pas rapide mais il avance ». Ces dialogues sont inventés mais représentent à mon avis ce que notamment mes ami·e·s et ma famille doivent se dire en regardant cela. Dans le jargon, on appelle ça faire du « dotwatching », littéralement suivre des points qui bougent. Quand ils bougent. Car quand ils ne bougent plus, c'est souvent rapidement des interrogations voire des inquiétudes qui émergent. «Il ou s'est arrêté ? Il a faim ? Il est fatigué ? Ça fait déjà 25 minutes que ça n'a pas changé ». Là encore, j'invente ce que j'imagine être le préambule aux messages, eux bien réels : « Ça va ? On te voit plus bouger ». J'essaie alors d'expliquer que ce système reste faillible mais même quand on le sait, cela reste l'unique point d'attache en temps réel dont disposent les dotwatcher·euse·s.

Quand on est participant, c'est encore différent. L'usage est certainement variable selon les profils, certain·e·s n'ouvrent probablement jamais l'application, d'autres vont s'enquérir plus régulièrement de la situation de course. Au-delà de connaître les positions des autres, on sait également quel chemin a emprunté chaque participant·e, donnant parfois des indications sur l'accessibilité de certaines routes. Comme un spectateur lambda, on essaie d'interpréter certains arrêts ou choix de parcours. L'unique information permanente attachée au point étant le nom de la personne, il n'est pas rare qu'on n'ait aucune idée du visage même du ou de la participant·e.

Tout en enfilant mon - premier - petit déjeuner, j'analyse la situation : Matt m'a déjà mis plus de kilomètres dans la vue, Krystian avance à un bon rythme et je ne pourrais probablement pas croiser ces deux-là aujourd'hui, Ole est toujours en train de dormir dans son sentier, les premier·ère·s me semblent à des années-lumière et avancent à une vitesse folle. Tiens, je n'avais pas encore vu ce nom : Eivind. Il se rapproche de moi bien vite alors que je ne l'avais pas encore croisé. Je me concentre ensuite sur mes données et notamment le ratio temps arrêté / temps en mouvement qui me donne une indication précieuse de l'efficacité de mes pauses. Je cible quelque chose autour des 70/30, ce qui n'est pas forcément très efficace pour quelqu'un qui dort peu comme moi mais je fais le choix de pauses un peu plus longues en journée - et j'ai aussi conscience que malgré m'être amélioré dans ce domaine depuis mes débuts, je suis relativement lent dans l'exercice des pauses efficaces.

À mesure que la lumière vient éclairer ce quatrième jour de course, je prends connaissance du profil depuis l'ascension du jour : le Passo del Gogio. 10km d'ascension plus facile et au bout, une vue magnifique des Apennins et une autre barrière symbolique : celle des 1000km et du quart de la course. En arrivant en haut, je n'ai même pas le temps d'ouvrir l'application de suivi que j'entends un vélo arriver quelques minutes après moi alors que je profite de la vue. Eivind, maillot ouvert, me rejoint alors et contemple la vue avec moi. On ne s'attarde pas car on a tous les deux un même objectif à 9h passées : le petit-déjeuner. Ce qui s'apparente à un « moyen déjeuner » pour ma part. La descente rapide - et encore plus rapide pour Eivind qui est un bien meilleur descendeur que moi - nous conduit tous les deux au centre de la ville de Firenzuola, point de départ de la Strada Bolognese qui marque le point de départ d'une longue portion plane qui doit amener jusqu'à la première frontière et le passage en Autriche. J'appréhende un peu le trafic et les routes au moment de quitter véritablement la montagne à nouveau mais ces transitions font partie de ce long voyage. Les noms de villes que nous traverserons résonnent aussi : Florence - que nous avons contournée par l'est, Bologne, Vérone. Tout un programme.

On s'attable avec Eivind pour un moment d'échange sur nos stratégies. Je comprends qu'il privilégie des sommeils longs et réparateurs, ce qui explique que nous nous trouvions ensemble à ce moment et pourquoi je n'avais pas encore pu le croiser. Certes, nous en sommes au même point kilométrique au quart de la course, mais un monde nous sépare sur le vélo et je sais déjà qu'il sera déjà bien loin dans quelques jours. C'est un profil atypique dans la course car il aime grimper et choisit volontiers de raccourcir son kilométrage avec des ascensions difficiles, parfois même sans véritable avantage de distance mais par simple plaisir de voir la route se dresser devant lui. On compare nos vélos et notre expérience de la course. Encore une belle rencontre. Je le salue, certain qu'à moins d'une défaillance, je n'aurai plus l'occasion de le revoir avant l'arrivée. Mais qu'à cela ne tienne, j'ai mis un visage sur ce nom et l'ajoute à la liste de mes favoris dans l'application. Je serai un dotwatcher comme les autres pour lui.

Après avoir retrouvé mon parcours option « 200 mètres de dénivelé en plus pour contourner une route en travaux », j'attaque une longue portion de descente jusqu'à Bologne. La route est belle et propice à un peu de récupération mais maintenant en plaine, la chaleur se fait maintenant plus étouffante et traverser une agglomération à 12h n'aide pas à se rafraîchir. Je note au passage que je viens de dépasser Wout, rencontré la veille. Il avait un très bon rythme et semble s'être octroyé une longue pause. Mais plus j'avance et je vois son point toujours immobile, alors je me pose des questions et je m'inquiète un peu. J'espère qu'il va bien. Coup de chaud ? Fatigue ? Problème mécanique ? Malheureusement, j'apprendrai quelques heures plus tard qu'il a dû s'arrêter pour se soigner à la suite d'une chute provoquée par un automobiliste qui l'a harponné dans un dépassement et a pris la fuite. Je lui envoie un message pour lui donner du courage et en espérant qu'il puisse rapidement reprendre la route.

La traversée de Bologne est plus rapide que ce que je n'imaginais et je rejoins bientôt une belle portion de l'Eurovélo 7, un axe cyclable qui traverse l'Europe depuis Malte jusqu'au Cap Nord. Un joli clin d'œil car le plan pour les participant·e·s de la Via Race n'est pas si éloigné et que ce fameux Cap Nord est également la ligne d'arrivée d'un autre événement parti le même jour à la même heure : la NorthCape 4000. Parti·e·s depuis le nord de l'Italie, leur chemin est plus simple dans le principe : tout droit jusqu'au nord tant que c'est encore possible. Il se trouve justement que j'ai des connaissances qui y participent dont Laurent que j'ai croisé dans le train qui nous amenait tous les deux à Milan aux départs de nos courses respectives et Simon, un compagnon de route rencontré lors de mon premier ultra, la Race Across France en 2022. Bien entendu, qui dit ultra dit suivi en direct et j'ai donc la chance de pouvoir être à la foisacteur de ma propre course et dotwatcher de celles des copains. On est tous le point de quelqu'un.

J'ai l'espoir de pouvoir profiter de ce magnifique axe le plus longtemps possible mais le bonheur est de courte durée, l'EV7 tirant un peu trop à l'ouest de mon objectif suivant : Vérone. C'est donc sur une bonne vieille Strada Statale - une route Nationale - que j'enfile les kilomètres de plat.

Plus question de regarder les petits points sur la carte, il faut maintenant se concentrer sur cette ligne blanche de quelques centimètres de largeur sur laquelle il faut se concentrer pour rester le plus à droite de la route car je dois maintenant la partager avec des camions et des voitures alors qu'il est 18h et les premiers semblent avoir de la route et les seconds ont sans doute hâte de retrouver leur maison. Toujours est-il que le défi n'est pas physiquement difficile mais mentalement éprouvant. Arrivé à Revere, seulement 50km avant Vérone, je fais une pause pour anticiper le point de chute du soir et effectuer une dernière recharge.

Pour une fois, je suis efficace, je règle les deux questions en une quinzaine de minutes quand, au moment de repartir, je sens cette sensation qui démoralise rapidement un·e cycliste : le pneu avant est à plat. Alors même que je ne roulais plus. Je comprends vite que j'ai mal choisi mon endroit pour stationner mon vélo dans ce parking pas très propre. Qu'à cela ne tienne : je m'attelle tout de suite à la réparation, conscient que je vais quand même rapidement être à court de chambres à air bien que les rustines ne manquent pas. C'est alors que la magie de l'ultra opère. Un charmant monsieur s'approche, tente de me dire quelque chose en italien que je ne comprends puis me dit : "mechanics" - je suis mécano.

Je n'ai pas le temps de rassembler mes outils dispersés au sol que voilà mon nouvel ange gardien parti avec ma roue dans un garage à 50m du bâtiment où je me suis arrêté. Il me fait signe d'attendre, remplit une bassine d'eau et se met en quête du trou. Les bulles apparaissent, notre enquêteur est sans faille. On se met alors à scruter un long moment ce pneu avant qui cache forcément l'aiguille dans la botte de foin - ou plutôt de caoutchouc. Ce sera chose faite rapidement, permettant ainsi de réparer en toute sérénité avec, en prime, la fourniture d'une chambre à air qui me permet de repartir sans entamer davantage mon stock. Le tout pour 10 euros. N'en jetez plus. Il n'y a que dans ces événements que cela m'arrive.

Requinqué, je reprends ma route, bientôt dépassé par un cycliste du coin parti pour sa sortie estivale du soir qui me propose de prendre sa roue. Le problème c'est que d'abord, je n'ai pas le droit mais surtout, le compteur affiche déjà 300km pour aujourd'hui et je suis bien incapable d'écraser les pédales pour suivre les mollets affûtés de ce très gentil monsieur lancé à près de 40km/h. Je continue à mon rythme alors que le soleil se couche sur un paysage agricole à l'air étouffant d'une odeur que je ne parviens pas à caractériser mais qui ne me semble pas du tout naturelle. À perte de vue, des champs, des serres : de l'agriculture intensive dans toute sa beauté, le tout traversé par cette interminable nationale au trafic qui ne faiblit pas malgré la tombée de la nuit. J'entre dans Vérone avec l'air de la chanson éponyme mais je dois me rendre à l'évidence : la "belle Vérone" ne semble pas présenter son meilleur profil de ce côté de la ville. 5km jusqu'à l'hôtel mais je me demande si je vais arriver en un seul morceau avec les embardées de toutes les voitures qui me dépassent. Je parviens finalement à ma chambre et suis ma routine.

Séchage. Gourdes. Manger. Douche. Naked Man. Alarme. Dodo.

Je repars vers 2h du matin, bien reposé et prêt à enchaîner. J'ai regardé rapidement le plan mais c'est encore plat jusqu'à Bolzano et les choses plus sérieuses commenceront ensuite après le passage de la frontière autrichienne.

En revanche, j'ai oublié de regarder la météo. Après à peine 10km, il pleut.

Et pas qu'un peu. Et en plus ça monte.

Définitivement, pour moi, Vérone n'était pas belle.