Code.Ride.Run.

Via Race Report - Jour 9

27 août 2025 - 7 min

Une envie de courir. Presque 40 minutes que je suis dans cette station-service, presque prêt à repartir alors qu'Anthony a repris la route depuis une bonne dizaine de minutes et j'ai une lubie passagère : j'ai envie de me dégourdir les jambes autrement qu'en pédalant. Ma préparation pour la Via Race a été pour ainsi dire tout sauf spécifique au vélo. Au quotidien, je cours au moins autant que je pédale et c'est la première fois depuis que j'ai repris la course à pied en 2021 que je ne cours pas pendant plus d'une semaine. D'autant plus que mon choix minimaliste de courir en sandales m'a habitué à avoir les pieds à l'air libre et l'enchaînement des jours emprisonnés dans des chaussures humides ne plaît pas spécialement à ma voûte plantaire. Chaque soir, retirer mes chaussures est une libération pour permettre de faire respirer ces véritables éponges qui deviennent douloureuses chaque jour un peu plus tôt. Si seulement j'avais pu greffer des cales SPD comme Lachlan Morton lors de son Tour de France alternatif.

Je profite d'ailleurs pour en faire un « scan » corporel et évaluer quel est l'état de mon corps. J'ai pu observer sa transformation au cours de ces derniers jours et si les marques de bronzage si caractéristiques de nos chères tenues en lycra n'ont jamais été aussi visibles, les contours de ma silhouette sont de plus en plus saillants, tant car mes fibres musculaires sont probablement congestionnées par leur sollicitation permanente que par une hydratation peut-être approximative. La peau se couvre çà et là de petites marques liées aux frottements et à la transpiration. Je vous fais grâce de l'état de ce qui me sert à m'asseoir sur ma selle dans ce récit mais l'idée générale à laquelle je me suis accroché pendant l'ensemble de l'épreuve : « c'est pas fou mais ça ira jusqu'au bout ». Je ne remercierai jamais assez la livraison express de ce cuissard que j'attendais tant quelques jours avant la course. J'ai par ailleurs la chance d'être relativement épargné par les problèmes tendineux et articulaires, que j'associe assez naturellement à ma pratique de la course à pied qui a énormément renforcé cet aspect de mon physique. Je fais également très attention à l'hygiène de ma bouche en me brossant les dents de multiples fois par jour, parfois jusqu'à 6 fois, souvent sur le vélo.

Le dernier point, et non des moindres, concerne les mains. J'y accorde toujours une attention particulière car lors de ma première course, j'avais perdu la motricité de ma main gauche, ne sachant pas que la compression nerveuse est telle quand on fait 15 h à 20 h de vélo par jour que nous pouvons rapidement avoir, au mieux quelques fourmillements dans les mains, au pire une perte partielle ou totale de motricité. L'expérience m'a permis de gérer ce point pendant les ultras mais je n'échappe pas à la règle. Depuis le cinquième jour, j'ai commencé à ressentir quelques fourmillements dans la main droite. J'effectue donc de nombreux exercices sur le vélo afin de libérer ces compressions au niveau du cou, du coude et des mains. Le juge de paix est simple : si vous n'arrivez plus à brancher un câble de chargement ou ouvrir un paquet de gâteau, ne cherchez pas plus loin. Et attendez 3 semaines.

Ma crainte la plus forte est de subir ce qu'on appelle dans le jargon « le Shermer neck ». Il s'agit d'un symptôme lié à un état de fatigue généralisé dans votre corps conduisant les muscles de votre cou à ne plus pouvoir tenir votre tête. Il devient dès lors assez dangereux de continuer à rouler car il est évident que si ne pas pouvoir relever la tête est assez handicapant pour pouvoir faire du vélo, ce « syndrome » est aussi la sonnette d'alarme tirée par votre corps pour enjoindre à stopper la machine. Ce sujet fait débat dans notre petit milieu. Tous ceux qui l'ont expérimenté sont catégoriques : si c'était à refaire, ils ou elles s'arrêteraient. Mais le mental peut parfois prendre le dessus, apportant une touche d'ingéniosité pour faire tenir cette tête droite : tendeur accroché à l'arrière du vélo et fixé sur le casque, minerve, support de tête sur les prolongateurs. Je vous invite à apprécier la créativité des ultracyclistes en tapant Shermer neck sur Google Images.

Je progresse à un rythme raisonnable malgré mon départ plutôt tardif comparé aux jours précédents mais mon objectif de rejoindre le second Refuge dans la soirée semble ne pas poser trop de problèmes. Si j'ai opté pour un trajet au plus direct mais en empruntant la campagne vallonnée de la Bavière, certains ont préféré s'orienter vers le Nord pour rejoindre Munich et un parcours plus long mais plus plat. Les routes de campagne succèdent plus ou moins bien aux axes plus empruntés, me permettant de me familiariser avec l'instinct plutôt sportif des automobilistes allemands.

Je commence à perdre quelque peu la notion des jours, et notamment du fait que nous sommes dimanche. Je me disais bien qu'il n'y avait pas grand-chose d'ouvert. Je me risque à m'arrêter dans une station-service avec distributeur automatique de nourriture. Si je mets entre parenthèses mon régime végétarien pendant les courses, la perspective de manger du lard cru sous vide reste quand même une limite que je me pose et je jette mon dévolu sur un paquet de chips et quelques sodas. Je reprends la route et décide de mettre un peu plus de rythme pour arriver au plus vite au Refuge où je sais qu'un repas copieux m'attendra.

Comme ma stratégie de la veille m'a porté chance, je renouvelle une réservation d'hôtel anticipée d'un hôtel qui se situe sur ma route à 30 kilomètres après le Refuge, ne sachant pas vraiment s'il sera possible d'y dormir, comme c'était le cas au premier Refuge. Après 200 km à traverser le sud de l'Allemagne, j'approche la frontière suisse et file vers Brégence au cours d'une longue descente qui laisse découvrir au dernier moment le magnifique Lac de Constance. Je profite de la vue en traversant les pistes cyclables impeccables de la ville. À ce moment, alors que mes sacoches de nourriture sont vides depuis un moment, et alors que je pensais tenir jusqu'au Refuge, j'ai une soudaine faim qui tourne rapidement au début de fringale. Je saute sur la première station-service ouverte et dévale ce qui reste de sandwiches et engloutis 2 glaces. J'en profite pour appeler Simon, mon ami ultracycliste engagé au même moment sur la NorthCape4000 qui enchaîne les lignes droites et les jours pluvieux. Il avait besoin d'un petit remontant. Moi aussi.

Une fois passé en Suisse, j'attaque une petite montée où je me demande si je n'ai pas un problème avec mes pneus tant le bitume incroyablement roulant et silencieux sur lequel j'évolue est confortable. Après quelques détours où je me perds dans la petite localité de St. Gallen, me voici au Refuge.

Dan, un volontaire, lui aussi ultracycliste mais qui n'a pas pu prendre le départ cette année, est là pour m'accueillir et m'invite à entrer pour me restaurer dans une magnifique maison en bois. J'entre et croise le regard d'Anthony, déjà douché et repu qui va aller s'allonger quelques heures. Alors que le maître des lieux est déjà affairé à me préparer un copieux plat de pâtes, Elias, un des photographes de la course et francophone, engage la conversation avec moi. Il est fan de Jow, l'entreprise dans laquelle je travaille et que j'arbore sur mon maillot et me propose de faire quelques clichés pour immortaliser l'instant. En arrivant de nuit, l'ambiance est plus calme, et fourmille moins qu'à Innsbruck à cette heure. Je me fais discret pour permettre aux autres concurrents de se reposer. Surtout, je sais que plus le temps passe, plus il me sera difficile de repartir et j'ai encore un peu de route pour atteindre mon hôtel qui me demandera 1 h 30 de roulage supplémentaire. Je regrette un peu mon choix car les matelas semblent confortables et la logistique de l'hôtel va probablement me faire perdre du temps mais j'assume mon choix, eu égard aux tarifs appliqués par « nos amis suisses » dans les hôtels.

Avant de repartir, j'assiste à un moment-clé de la course. Alors qu'il me reste plus de 1 300 km à parcourir, se joue au même moment, à quelques dizaines de kilomètres de l'arrivée, un véritable sprint pour la victoire finale. Le suspense reste entier et maintenu par ces 2 petits points qui bougent sur une carte, représentant la lutte pour la première place que se livrent Adam Bialek et Bruno Wicht. J'accepte avec humilité le fait que je ne serai pas sur le podium cette fois-ci et reprends la route. Je reprends la route et croise Sebastian qui arrive au Refuge au même moment. On se salue rapidement mais tous deux fatigués, on espère simplement se revoir le lendemain.

Dans ma chambre d'hôtel, alors que je suis pourtant maintenant rodé à l'exercice, un message de la direction de course vient perturber mon cérémonial : « We highly recommend not to take the B31 between Titisee Lake and Fribourg em Brisgau ». Bigre. C'est justement pile par là que je prévois de passer demain. Je perds donc une heure à étudier les traces de prédécesseurs, à établir plusieurs stratégies et à hésiter pour finalement revenir à mon idée de base qui semble avoir été suivie par de nombreux concurrents, et m'éviterait pas mal de dénivelé et surtout 3 km de gravel où je ne suis pas sûr que mon vélo ait envie de poser les roues. Ce temps perdu et ces interrogations sur le parcours font que j'ai de la peine à trouver le sommeil, alors que je suis bien fatigué par cette journée.

J'ouvre les yeux 4 h plus tard, encore une fois sans alarme. Je me prépare rapidement, mais au moment de repartir, un doute jaillit en moi soudainement : vérifier les plaquettes de frein de mon vélo. Cela fait deux jours qu'elles sifflent à l'avant et la pluie n'ayant pas dû arranger les choses, je pointe ma frontale pour m'enquérir de leur état. L'épaisseur de la garniture me confirme qu'il va falloir sortir la boîte à outils.

À ce moment-là, j'ai un rire nerveux et mes pensées vont très clairement vers une personne qui aurait le même en me voyant.

Ouais, il va falloir que je vous parle de Paul un peu.